L’étude menée par Wetlands International Afrique et BirdLife dans le cadre du projet ‘’Conservation de la grue couronnée en Afrique de l’Ouest’’ sur financement de Zoological Society (NEZS)/Chester Zoo et la Fondation Mava, a permis de constater les relations très particulières qui existent entre la grue noire couronnée et les populations de la Casamance (sud du Sénégal). Ces liens mystiques forts favorisent la survie de la grue couronnée, une espèce vulnérable inscrite depuis 2010 sur la liste rouge de l’UICN.
Grand oiseau africain aux allures majestueuses, la grue couronnée noire on n’y touche pas en Casamance. L’espèce est vue ici sous une représentation surnaturelle. Elle est une espèce sacrée. Cette sacralité remonte à une époque très lointaine. L’étude de recherche sur l’écologie de l’espèce ainsi que les menaces sur sa survie commanditée par Wetlands International Afrique et BirdLife nous a permis de découvrir à quel point la grue couronnée noire est importante aux yeux des casamançais.
Il est 7h en cette matinée d’hivernage. Nous quittons le village de Baila, M. Idrissa Ndiaye (le technicien qui me guide et m’assiste durant l’étude) et moi. Nous avons rendez-vous avec les personnes ressources des villages longés par la mangrove et les rizières. Nous nous sommes munis de deux appareils-photos et d’un caméscope pour mener à bien notre mission. Nous arrivons à Baranlir après avoir parcouru des km à pied, village voisin de Koussabel où nous retrouvons les sages. Ils sont sous un arbre à palabres pour échapper à la chaleur torride en cette journée d’hivernage. Après les présentations d’usage et explications sur les raisons de notre venue et en quoi consiste notre étude, les sages nous ont accueillis chaleureusement et ont accepté de parler des liens sacrés qu’ils entretiennent avec la grue couronnée noire. D’emblée, un des sages de l’assemblée nous apprend que la grue couronnée « Nghaat » (en langue diola) entretient un lien mystique avec certaines familles de l’ethnie diola. Il s’agit des Diedhiou et des Bodian qui sont capables de déchiffrer son comportement dit-il. C’est pourquoi, l’espèce n’est ni dérangée dans son habitat, ni capturée. Mieux, leur présence massive en Casamance est bon signe. « L’abondance des grues couronnées dans les rizières en début de saison des pluies annonce une pluviométrie abondante et donc de bonnes récoltes » nous confie-t-il.
En outre, la grue couronnée est l’effigie et le symbole des associations communément appelées « Jamoral » en pays diola qui œuvrent pour la paix dans cette partie septentrionale du Sénégal, en proie à une crise de rébellion depuis des décennies pour des velléités indépendantistes.
Cependant, la grue couronnée n’est pas toujours porteuse de bonnes nouvelles en Casamance bien au contraire. Certains initiés savent décoder ses messages. Et si l’on en croit la croyance populaire, tant qu’elle reste dans les rizières et la mangrove, l’avenir s’annonce radieux mais elle est également annonciatrice de mauvaises nouvelles à la communauté locale. « Lorsque des grues couronnées survolent le village d’un bout à l’autre en criant, elles annoncent la disparition prochaine d’un habitant du village » fait remarquer M. Diédhiou, membre de l’assemblée des sages de Baranlir. C’est le même discours qui est tenu par les personnes ressources des autres villages comme Baila et Koussabel que nous avons visités. «Nous ne devons pas assister à la parade de la grue couronnée parce qu’elle porte malheur et entraine la mort de celui qui y a assisté, beaucoup de personnes n’y croyaient pas mais on fait toujours le même constat depuis des millénaires après que quelqu’un a assisté à une parade de grue » déclare sans ambages M. Goudiaby, Philosophe et Ornithologue amateur de son état habitant à Baila.
Même si les communautés locales lui vouent un grand respect, la grue est un déprédateur pour la riziculture. L’oiseau fait des dégâts et arrache de grandes quantités d’épis de riz dans les rizières où il s’alimente. Malgré tout, les populations casamançaises restent impuissantes devant ce fléau à cause du caractère sacré de l’espèce. Elles n’ont pour armes que des chants et des prières en langue diola pour demander respectueusement aux grues de quitter les lieux. La présence humaine les éloigne des périmètres rizicoles. Les producteurs sont obligés d’être présents dans les rizières pendant les heures d’alimentation surtout avant les récoltes du riz.
Wetlands International et BirdLife grâce au projet «Conservation de la grue couronnée en Afrique de l’Ouest» financé par Zoological Society (NEZS)/Chester Zoo et la Fondation Mava, voulaient disposer d’une base de données fiables pour une meilleure conservation de l’espèce et de ses habitats dans la sous-région ouest africaine, les conclusions des enquêtes de terrain sont porteuses d’espoir. Le caractère sacré de la grue couronnée en Casamance en fait du coup une espèce protégée.
Les deux organisations s’attèlent à l’élaboration et à la mise en œuvre de plans de gestion ainsi qu’à une amélioration du statut de protection de la grue couronnée noire comme le recommande l’étude.